Les résultats d’une étude génétique démontrant l’existence d’une lignée génétique spécifique de chat sauvage en Corse viennent d’être publiés dans une revue scientifique.
L’existence d’un chat sauvage en Corse appelé localement u ‘ghjattu volpe’ (« chat-renard ») est connue des habitants de Corse depuis très longtemps. Depuis le 20ème siècle, cette population fait l’objet de descriptions plus ou moins précises et parfois même erronées. Si un statut d’espèce sauvage lui était reconnu par la société agropastoale de Corse et par les institutions préfectorales de la fin du 19ème et du début du 20ème siècle, son statut n’a cessé d’interroger jusqu’à nos jours.
La publication par l’Office français de la biodiversité (OFB) et le laboratoire de Biométrie et Biologie Evolutive (CNRS - Université Claude Bernard Lyon 1) des résultats d’une étude génétique comparant les profils génétiques de chats vivant à l’état sauvage en Corse, en France métropolitaine et de chats domestiques, apporte un éclairage nouveau à cette discussion. L’article publié dans la revue scientifique Molecular Ecology montre en effet, pour la première fois, qu’il existe une identité génétique spécifique du chat sauvage de Corse.
La capture accidentelle d’un chat de type sauvage à Olcani en 2008 a marqué le début d’un programme de recherche sur le chat vivant à l’état sauvage en Corse engagé à l’initiative conjointe de l’OFB (ex ONCFS) et de l’Office de l’Environnement de la Corse, et appuyé dès 2009 par le Laboratoire de Biométrie et de Biologie Evolutive (LBBE). La détermination de Pierre Benedetti (OFB) et le soutien de la Direction PACA-Corse de l’OFB ont alors grandement contribué à l’émergence de cette étude.
L’objectif de ce programme était de confirmer l’existence de ce chat présent dans la mythologie agropastorale de l’île et de préciser son statut. Entre 2011 et 2014, la mise en place par les agents de l’Office français de la biodiversité en Corse de dizaines de pièges à poils associés à des pièges photographiques sur les réserves de chasse et de faune sauvage de Bavella, de Tartagine et d’Asco a permis l’identification de huit individus présentant un phénotype (caractéristiques du pelage) particulier et homogène définissant ainsi le phénotype « sauvage de Corse ».
Les premières analyses génétiques réalisées par le LBBE et le laboratoire Antagene ont démontré que ces individus ne sont pas des chats sauvages européens, F. silvestris silvestris, mais n’ont pas permis de différencier clairement les chats domestiques des chats sauvages corses, tous étant rattachés au groupe génétique F. s. lybica.
À la suite du précédent programme, une nouvelle étude a débuté avec pour objectifs la collecte de nouveaux prélèvements et l’adoption d’une approche génomique par séquençage haut débit pour comparer plus finement les profils génétiques des chats observés en nature en Corse, sur le continent et en Sardaigne.
En complément, l’étude de l’écologie de cet animal a été lancée. Entre 2016 et 2020, pour la première fois en Corse, seize individus sauvages et un chat haret (chat domestique vivant à l’état sauvage ou semi-sauvage) ont été capturés dans la vallée de l’Asco. Après prélèvements génétiques, certains d’entre eux sont équipés de colliers GPS.
L’approche génomique par séquençage haut-débit a permis de réelles avancées.
Ainsi, l’analyse des résultats effectuée par le LBBE permet clairement de séparer les prélèvements de chats sauvages corses des prélèvements de chats forestiers continentaux, de chats domestiques (de Corse et du continent) et de chats de Sardaigne.
Plus précisément, les prélèvements de chats sauvages de Corse apparaissent génétiquement très différents des chats sauvages continentaux et plus proches, bien que différents, des chats de Sardaigne. Les chats domestiques de France continentale sont proches génétiquement de ceux de Corse et les chats de Sardaigne sont intermédiaires entre les chats sauvages de Corse et les chats domestiques. Ces résultats suggèrent que le chat sauvage de Corse n’appartient pas aux lignées F. s. silvestris ou catus. Il serait maintenant nécessaire d’analyser un nombre plus important de chats de Sardaigne, et d’une manière générale de chats sauvages du Proche-Orient et du pourtour méditerranéen, pour préciser la place du chat sauvage corse en tant que sous-espèce ou unité génétique de population, et mieux comprendre l’histoire de l’arrivée en Corse de ce félin.
À l’heure de l’effondrement de la biodiversité, l’identification d’une entité génétique spécifique dans le taxon des Félidés, taxon très menacé, est remarquable et essentielle à la mise en place de mesures de conservation adaptées. Cette étude met en lumière l’importance des approches combinant génétique et écologie. Elle n’est qu’une première étape vers un programme qui devra préciser les éléments d’écologie de cette population (variation spatiale et temporelle de la densité de population et ses facteurs de causalité, régime alimentaire, utilisation et sélection de l’habitat, évaluation du risque d’hybridation avec le chat domestique).
Plusieurs partenaires institutionnels sont engagés dans ce programme en soutien (financier, technique, humain) à l’OFB, qui le coordonne : Collectivité de Corse, Office de l’Environnement de la Corse, Office National des Forêts, DREAL de Corse…
Les travaux scientifiques se poursuivent, d’une part, avec pour objectifs d’identifier différentes zones de Corse où ce type de chat sauvage présentant ce génome associé au phénotype décrit serait présent, et d’acquérir de nouvelles connaissances sur l’écologie de ce chat. D’autre part, une collaboration a débuté en 2020 avec l’Institut Jacques Monod/CNRS/Université Paris-Cité, qui vise à caractériser le génome entier du chat sauvage de Corse et à reconstituer son histoire évolutive, depuis la possible introduction du chat en Corse par les êtres humains lors des migrations néolithiques et les influences des différentes migrations humaines méditerranéennes qui se sont produites ensuite.
Dans le même temps, la description et les analyses du phénotype du chat sauvage de Corse, sont étudiées avec le concours du Pr Marie Abitbol de VetAgro Sup, Campus vétérinaire de Lyon.
Référence complète de l’article : Portanier E., Henri H., Benedetti P., Sanchis F., Régis C., Chevret P., M. Zedda, A. El Filali, S. Ruette & Devillard S. 2023. Population genomics of Corsican wildcats: paving the way towards a new sub‐species within the Felis silvestris spp. Complex? Molecular Ecology. https://doi.org/10.1111/mec.16856.