Pour la première fois, l’état des lieux complet réalisé sur les araignées de France métropolitaine montre que plus de 10 % des espèces sont menacées. Sur les 1622 espèces recensées, 170 sont menacées sur notre territoire, tandis que 101 autres sont proches de l’être et se trouvent quasi menacées. Publiés dans le cadre de la Liste rouge des espèces menacées en France, ces résultats ont été établis par le Comité français de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), l’Office français de la biodiversité (OFB) et le Muséum national d’Histoire naturelle (MNHN), avec l’expertise et la mobilisation du réseau de l’Association française d’arachnologie (AsFrA) et l’appui technique du laboratoire TREE (Université de Pau-CNRS).
Qu’elles fascinent ou qu’elles suscitent la crainte, les araignées sont souvent méconnues. Présentes dans une multitude d’habitats, ces espèces forment un groupe très diversifié, observé aussi bien dans les prairies ouvertes et les zones humides que dans les massifs forestiers ou les grottes, des zones sableuses littorales aux versants rocheux d’altitude. Elles jouent un rôle clé dans les écosystèmes en régulant les populations d’insectes et constituent de bons bioindicateurs de la qualité des milieux. Parmi les 1622 espèces natives recensées en France métropolitaine, on dénombre 127 espèces endémiques, qui n’existent nulle part ailleurs au monde. L’état des lieux inédit qui vient d’être réalisé révèle les pressions multiples et leurs effets souvent cumulés qui pèsent sur les araignées de l’Hexagone.
Pour un grand nombre d’araignées, la dégradation et la destruction des habitats naturels représentent des menaces majeures. Les espèces de prairies sont notamment affectées par l’artificialisation croissante liée aux constructions et aux aménagements, comme la Cyclosa insulaire classée "Vulnérable". Les araignées vivant en forêt pâtissent de l’exploitation du bois et de la sylviculture intensive qui tend à faire disparaître les vieux arbres. La Tégénaire rouillée est ainsi aujourd’hui "En danger".
Pour les espèces inféodées aux milieux humides, l’urbanisation entraîne la disparition d’habitats sensibles avec le comblement de zones humides ou l’aménagement des berges. Ces espèces subissent aussi les modifications du régime hydrique causées par le drainage ou l’assèchement à des fins agricoles, comme la Dolomède des roseaux classée "En danger".
Les produits nocifs pour l’environnement affectent directement certaines araignées en les contaminant par exposition, ou indirectement en réduisant la disponibilité de leurs proies. C’est le cas de l’Érèse sandalion, classée "Quasi menacée", dont les proies se raréfient à cause de l’usage de pesticides. Les pollutions agricoles, industrielles et urbaines tendent aussi à rendre les zones humides inhospitalières pour les espèces qui y vivent, comme l’Argyronète, une araignée au mode de vie subaquatique classée "En danger".
La fréquentation excessive des milieux représente une autre menace pour les espèces cavernicoles, telles que la minuscule Trogloneta, particulièrement sensible au dérangement lié à l'exploration spéléologique récréative. Le tourisme balnéaire, qui incite au nettoyage systématique des plages, est quant à lui néfaste pour les espèces des habitats fragiles du littoral. La Dictyne des posidonies, qui vit uniquement dans les feuilles des plantes marines échouées sur les plages, en est par exemple victime. Toutes deux sont classées "En danger".
Enfin, de manière plus ponctuelle, le prélèvement de spécimens dans la nature à des fins de collection, de commerce ou pour la terrariophilie menace un certain nombre d’araignées, notamment l’Érèse sandalion.
Le changement climatique constitue une menace croissante, altérant la qualité de l’habitat des espèces. Les araignées montagnardes sont particulièrement concernées par la hausse des températures, qui contraint les populations à monter en altitude pour conserver des conditions favorables. Cela concerne par exemple la Coelotes catalane, classée "Vulnérable". Ces déplacements imposés par le réchauffement peuvent parfois être entravés par la dégradation des milieux ou même devenir impossibles en l’absence d’autres habitats propices.
Les sécheresses frappent des espèces du sud de la France, comme celles du genre Nemesia, de petites mygales creusant des terriers, dont les femelles et leur progéniture peuvent succomber à la déshydratation dans leur refuge. La Mygale du Luberon, endémique de France métropolitaine, est ainsi classée "En danger critique" et a peut-être même déjà disparu. Ces événements augmentent la fréquence des feux de forêt et de garrigue, mettant en péril les espèces qui y vivent.
Sous l’effet du réchauffement, l’érosion côtière amplifiée par la montée du niveau de la mer affecte aussi les espèces littorales, telles que le Mogrus des plages qui fréquente les milieux dunaires, désormais "Vulnérable".
Sur le plan des connaissances, l’analyse révèle un manque d’informations pour plus de 30 % des araignées. Les espèces dont la répartition en France est encore mal connue ont dû être classées dans la catégorie "Données insuffisantes". Parmi celles-ci, certaines pourraient malgré tout être menacées : leur classement dans cette catégorie encourage le développement de prospections de terrain et l’amélioration des connaissances pour préciser leur situation.
Malgré les menaces qui pèsent sur les araignées, aucune espèce ne fait à ce jour l’objet d’un programme de conservation dédié ou de mesures de protection spécifiques. L’état des lieux souligne en particulier l’importance de renforcer la préservation des habitats naturels par la mise en place d’aires protégées ou d’une gestion adaptée pour assurer leur sauvegarde à long terme. Les résultats de la Liste rouge nationale devront contribuer à orienter les stratégies de connaissance et les priorités d’action pour préserver l’exceptionnelle diversité de ces espèces essentielles à nos écosystèmes.