L’Office français de la biodiversité (OFB) et l’Institut national de l'information géographique et forestière publient une étude sur la relation entre l’abondance des espèces et les caractéristiques paysagères comme le type de parcelles agricoles, l’importance du maillage bocager et des lisières forestières. Cet article, intitulé « Habitats, agricultural practices, and population dynamics of a threatened species: The European turtle dove in France » publié dans la revue Biological Conservation est basé sur le cas de la tourterelle des bois en France.
La pression des activités humaines sur l’environnement ne cesse de s’accroitre à travers le globe, impactant la disponibilité et la qualité des habitats, avec pour conséquence le déclin de la biodiversité. Ceci est particulièrement notable dans les habitats agricoles, où l’intensification des pratiques aboutit à un recul marquant de cette biodiversité. Parmi l’ensemble des espèces concernées, les plus inféodées aux habitats agricoles sont particulièrement mises à mal et ce sont elles qui montrent logiquement les plus forts déclins, que ce soit en Europe ou en Amérique du nord.
Cette grande migratrice se reproduit en Europe dans des habitats agricoles où abondent haies et bosquets, ainsi que dans les lisières et les zones d’éclaircies en milieu boisé. Elle est exclusivement granivore, consommant aussi bien des graines cultivées après moisson que des graines sauvages dans les bandes enherbées, les jachères et prairies.
Mais cette espèce a vu son abondance en Europe diminuer de 80 % depuis les années 80, 33 % depuis 1998.
Cette diminution est suffisamment importante pour que l’UICN ait ajouté la tourterelle des bois à la liste des espèces classées « vulnérables » à partir de 2015.
Un Plan d’Action International rédigé en 2018 a listé les différents facteurs responsables de ce déclin, avec en tête de ceux-ci la perte des habitats favorables sur les sites de reproduction mais également d’hivernage en Afrique sub-saharienne, suivis des prélèvements légaux excessifs et du braconnage. Le premier facteur affecte la survie de l’espèce en provoquant un raccourcissement de la saison de reproduction, par manque de ressources alimentaires. En France, pays accueillant la deuxième plus grande population en Europe après l’Espagne, un Plan National de Gestion dédié à l’habitat de reproduction de cette espèce a été rédigé en 2021, afin d’encourager et guider les mesures de restauration de son habitat.
Afin de garantir l’efficacité de ces mesures, il est nécessaire d’identifier le plus précisément possible les critères de préférence qui guident l’espèce dans son choix d’habitat de reproduction. Et pour être valable, cette démarche ne doit pas se limiter à quelques territoires d’études mais se décliner à une très large échelle spatiale, afin de garantir la robustesse des résultats.
C’est pourquoi les services de l’Office français de la biodiversité, en collaboration avec ceux de l’Institut national de l'information géographique et forestière, se sont intéressés à identifier quelles étaient les caractéristiques de l’habitat affectant le plus la variation de l’abondance des tourterelles des bois au cours du temps, mais également sa variation spatiale. Les scientifiques se sont appuyés sur les données d’abondance collectées depuis 1996 par le réseau « Oiseaux de passage » co-animé par l’OFB, la Fédération nationale des chasseurs et les Fédérations départementales, via un réseau national standardisé de points d’écoute.
Les données décrivant l’habitat dans un rayon de 1 km autour de chaque point, à savoir le type de culture pratiquée chaque année dans les parcelles (données issues du programme TERUTI), ainsi que la longueur de haies et de lisières de zones boisées, ont été extraites. Pour cette deuxième variable, la cartographie précise des haies et lisières, produite en 2020 par le dispositif de suivi des bocages OFB/IGN sur l’ensemble du territoire national, a été d’une aide précieuse.
Résultats : les jachères ont l’impact le plus positif sur l’abondance des tourterelles
Contrairement à l’hypothèse de départ, il n’a pas été trouvé de relation positive entre les surfaces en céréales et l’abondance des tourterelles. Cette absence de relation résulte peut-être du fait que l’effet positif des chaumes de céréales en termes d’offre alimentaire est contrebalancé par l’enfouissement rapide de ceux-ci juste après la moisson, afin de semer des cultures intermédiaires (CIPAN).
L’abondance des tourterelles des bois est en revanche clairement négativement corrélée aux surfaces dédiées au fourrage (maïs, prairies de fauche…), ces dernières présentant peu de ressources alimentaires d’intérêt pour la tourterelle des bois et un accès limité par la densité et/ou la hauteur des cultures.
Parmi les différents types d’utilisation des parcelles agricoles, les jachères sont celles qui ont l’impact le plus positif sur l’abondance de l’espèce, probablement parce qu’elles combinent à la fois une richesse et une diversité en ressources alimentaires, ainsi qu’un accès aisé. Ce résultat est d’autant plus notable que les surfaces en jachère ont énormément régressé en France depuis le début des années 2000.
L’importance du linéaire de haies et de lisières de zones boisées autour des points d’écoute est également positivement corrélée à l’abondance de l’espèce. En effet, plus le linéaire est important, plus les oiseaux disposent d’alternatives pour choisir un site de nidification. Dans le cas des haies il est fort probable que cette relation serait encore plus marquée si l’on pouvait préciser la qualité de la haie (épaisseur, présence de différentes strates, présence de liane…). Quant aux lisières boisées, cette relation positive s’inverse au-delà d’une certaine valeur, les zones boisées couvrant alors des surfaces trop importantes au regard des exigences d’habitats d’alimentation ouverts de la tourterelle des bois.
Ce travail met en lumière le rôle très important des jachères dans la conservation des populations de tourterelles des bois en Europe, et donc la nécessité de maintenir et même accroitre ce type de culture. Il faut rappeler que les jachères ont un impact positif sur une large gamme d’espèces qui va bien au-delà des oiseaux (les insectes en particulier), et contribuent donc fortement au maintien local de la biodiversité. Plus largement, cette étude permet ainsi d’apporter des éléments concrets pour soutenir les actions de maintien et ou de restauration de l’habitat de reproduction de la tourterelle des bois. Elle contribue à répondre aux objectifs définis tant par la Commission Européenne que par le récent Plan National de Gestion de l’habitat de la tourterelle des bois quant à l’acquisition de connaissances permettant de rendre plus efficaces les actions de restauration des populations de cette espèce.
Téléchargez le communiqué de presse
Référence complète de l’article (en anglais) : Sauser, C., Commagnac, L., Eraud, C., Guillemain, M., Morin, S., Powolny, T., Villers, A. & Lormée, H. 2022. Habitats, agricultural practices, and population dynamics of a threatened species: The European turtle dove in France. Biological Conservation 274: 109730. https://doi.org/10.1016/j.biocon.2022.109730.