Cet été, le Var a été le théâtre d'un évènement rare et porteur d'espoir pour les acteurs de la biodiversité marine : deux nids de tortues caouannes (Caretta caretta) ont éclos, donnant naissance à ce jour à près de soixante-dix petites tortues.
Mi-Juillet, deux nids de tortues caouannes sont identifiés sur la commune de Fréjus : l'un sur le secteur de Fréjus-plage et l'autre, à moins de 2 kilomètres de là, à Saint-Aygulf. Immédiatement, une coopération locale se met en place entre la ville de Fréjus, l'Observatoire marin de la CAVEM, le conservatoire du Littoral et l'Association Marineland pour la sécurisation des sites ponte en lien avec l'Office français de la biodiversité et le Réseau Tortues Marines de Méditerranée Française (RTMMF). L'ensemble des acteurs se mobilisent ensuite très rapidement autour de l'Office français de la biodiversité pour suivre et accompagner cet évènement exceptionnel.
La durée d'incubation de la ponte d'une tortue caouanne se situe habituellement entre 45 et 70 jours. Le site de ponte de Fréjus voit son éclosion au terme de seulement 46 jours, avec une soixantaine de nouveau-nés se précipitant vers la mer dans les 72 heures qui suivent.
« La faible profondeur du nid corrélée à des forts épisodes de chaleurs, l'exposition au soleil du site et la granulométrie du sable sont autant de facteurs susceptibles d'expliquer la courte durée d'incubation », rapporte Sidonie Catteau, référente RTMMF et chef de mission « Tortues Marines » à l'Association Marineland.
Quant au nid de Saint-Aygulf, il aura fallu attendre 74 jours pour voir sortir les premières petites tortues, à la grande joie des acteurs de terrain et des habitués de la plage. Au total, près de soixante-dix tortues a pu gagner la mer. Les équipes espèrent que d'autres tortues pointeront le bout de leur nez, tous les œufs n'ayant pas encore éclos.
« Cela constitue déjà un succès incontestable qui récompense les efforts des différents partenaires mobilisés sur ces deux pontes depuis juillet dernier » tient à souligner Christian Besserer, vice-président de la CAVEM délégué à l'environnement.
Depuis le début de cette aventure, sous la supervision du Réseau Tortues Marines de Méditerranée Française (RTMMF), les agents de l'Observatoire Marin de la CAVEM, les gardes du littoral et les salariés et bénévoles de l'Association Marineland se relayent sept jours sur sept pour collecter les premières données inédites sur la nidification des tortues Caouannes.
Pour les experts, la théorie du micro-habitat pourrait être avancée pour expliquer l'écart de la durée d'incubation entre les deux nids. Des paramètres environnementaux qui diffèrent : une profondeur de nid plus importante, un sable fin modifiant la température et l'humidité, une durée d'exposition au soleil moins longue.
Selon Fabien Rozec, Responsable de l'Observatoire Marin de la CAVEM, « après la découverte de 3 nids ces quatre dernières années, le territoire de la CAVEM dispose désormais d'une expérience notable dans la gestion opérationnelle de ce type d'évènement ». Il ajoute que « les évolutions sensiblement différentes observées sur deux sites de pontes, pourtant proches géographiquement, représentent une composante majeure à prendre en compte dans la gestion future de nouvelles pontes ».
La tortue caouanne est une des rares espèces, avec la tortue verte, qui se reproduit dans les régions tempérées comme la nôtre. Si les pontes demeurent relativement rares en France métropolitaine, l'observatoire des tortues marines de France métropolitaine constate une activité de reproduction plus régulière. Ces nouveaux épisodes de ponte, jusque-là exceptionnels et dont une s'était déjà produite en 2016 sur le même site de Saint-Aygulf, pourraient ainsi devenir plus fréquents, estiment les experts de terrain.
Afin de mieux anticiper la surveillance et la protection des nids de tortues marines, Eric Hansen, Directeur PACA et Corse de l'OFB explique que des kits composés d'une caméra à déclenchement automatique ainsi qu'un mat et des grilles de protection seront mis l'année prochaine à la disposition des communes qui auront la chance que des tortues caouannes viennent pondre sur leurs plages. La surveillance et le suivi des nids n'aurait pas eu lieu sans la formidable mobilisation de tous les acteurs bénévoles comme professionnels.
La population des tortues marines fréquentant les eaux méditerranéennes françaises était jusque-là identifiée comme des sub-adulte en recherche de site d'alimentation. Ces dernières années des observations d'adultes matures sexuellement et des épisodes de ponte à répétition pourraient annoncer l'amorce d'un changement dans la structure de la population. Pour l'instant, les données ne sont pas suffisamment documentées pour avancer que l'extension de la zone de nidification de Caretta caretta dans des latitudes plus nordiques serait la conséquence du réchauffement climatique. Des sites de ponte disparaissent et d'autres apparaissent, d'où l'importance de poursuivre les efforts de surveillance des populations et l'acquisition de données scientifiques qui peuvent permettre d'en apprendre plus sur ces phénomènes.
« Les tortues marines, comme les mammifères marins sont d'excellents indicateurs de l'état de santé du milieu marin, c'est pourquoi un observatoire national et un programme de surveillance leur sont dédiés explique Benjamin Guichard, chargé de mission « Mammifères marins - tortues marines » à l'Office français de la biodiversité.
Par exemple, en raison de leur régime alimentaire et de leur très large distribution en mer, les tortues marines ingèrent de nombreux déchets plastiques et sont utilisées comme indicateur de la pollution marine par les macrodéchets (notamment dans le programme européen Indicit). Espèces longévives présentes dans tous les océans du monde à l'exception de l'Arctique et de l'océan Austral, migratrices, omnivores, leur présence/absence, leurs comportements nous renseignent plus largement sur les écosystèmes marins. »
Les tortues Caouannes (Caretta caretta) et les six autres espèces de tortues marines sont toutes inscrites sur la liste rouge des espèces menacées de l'UICN (Union Internationale pour la Conservation de la Nature).
Selon Frédéric Villers, chargé de mission à la délégation de façade Méditerranée de la Direction Inter Régionale PACA Corse, « les juvéniles de tortues marines sont très vulnérables les premières années de vie et très peu d'entre eux atteignent l'âge adulte. L'activité humaine, comme le tourisme maritime, la pêche accidentelle ou encore la pollution marine représentent des menaces importantes, mais les actions de conservation et de sensibilisation menées sur le terrain, permettent de mieux protéger les tortues marines en Méditerranée ».
Le Réseau Tortues Marines de Méditerranée Française (RTMMF)
Le Réseau Tortues Marines de Méditerranée Française (RTMMF), est une commission de la société herpétologique de France (SHF) dont la mission est de recueillir des informations sur les tortues marines fréquentant les eaux françaises de Méditerranée à des fins scientifiques et de conservation. Le RTMMF est la seule instance habilitée à former des observateurs autorisés à intervenir sur les tortues marines fréquentant les eaux méditerranéennes françaises. Cette autorisation est certifiée par l’obtention d’une « carte verte » délivrée par dérogation ministérielle dans le cadre du programme scientifique Observatoire des Tortues Marines de France Métropolitaine, placé sous la responsabilité du Muséum national d’Histoire naturelle.
Le réseau d'alerte
Le RTMMF bénéficie de l’appui d’un réseau d’alerte constitué d’organismes publics, associatifs ou privés responsables de la surveillance et de la gestion des espaces maritimes et côtiers.
Les centres de soins
Les missions du RTMMF sont prolongées par les interventions des centres de soins comme le CRFS dans le Var et les Alpes-Maritimes, le CestMed en Occitanie et le CARI en Corse, chargés de recueillir les tortues blessées nécessitant des soins avant de les relâcher en mer lorsque leur état ne présente plus de risque pour leur survie.