Reinette, une vie de pêcheuse à pied

On l'appelle Reinette. Depuis 1966, Renée Michon est pêcheuse à pied. Depuis 40 ans, elle a fait de la baie de Somme son jardin. Elle y pêche les vers destinés à la pêche de loisir, mais cueille aussi les végétaux.

Quand Reinette débarque sur la plage de galets du Hourdel en pleine baie de Somme et en plein hiver, on sent immédiatement qu'elle est ici chez elle. Ce n'est pas que le lieu lui appartienne. C'est plutôt lui qui la possède. Le regard qui pétille s'attarde sur une bande de phoques dont les têtes pointent à la surface de l'océan gris du mois de janvier. "Ils vont se poser sur le banc de sable. Tu vas voir, la mer descend, dans quelques minutes, tout le paysage va changer". Elle tutoie aussi facilement qu'elle raconte, animée par une passion inextinguible. Elle a débarqué ici, elle la Normande, en pleine sécheresse, l’été 1976. "On était tous éparpillés pour chercher des endroits ou travailler, moi, j'étais partie en Bretagne. Mais un collègue nous a tout rappelés pour nous dire qu'ici il y avait ici une ressource incroyable. "

Tranche de vie et de vase

La ressource, ce sont les vers. Le nereis diversicolor qui s'épanouit dans la vase de la baie. Il est patiemment ramassé pour finir au bout de l'hameçon d'un amateur de pêche à la ligne. Reinette est vérotière avant d'être pêcheuse à pied. "J'avais neuf ans quand j'ai commencé avec ma mère. J'étais la plus indisciplinée de la fratrie. Elle m'emmenait pour me calmer. On partait en pleine nuit sur sa mobylette". Un souvenir qui restera gravé à jamais. Des dizaines de pêcheurs à pied, silhouettes noires dans le petit jour, chantant un Ave Maria en travaillant. "Il y avait une union entre les ramasseurs. Pour l'enfant que j'étais, c'était une partie de plaisir". Un sentiment qui ne l'a jamais quitté. "C'est mon domaine de travail et de repos. C'est un sanctuaire où je m'épanouis. J'aime tout ce que je fais et le contexte dans lequel je le fais. Même fatiguée, tu as le sourire. Tu sais que tu as eu une journée riche".

En cuissarde, enfoncée jusqu'aux mollets dans une vase glaciale ou chaque pas coûte, Reinette commence ce qu'elle appelle une travée de vers. La fourche en métal découpe une tranche de vase, la main retire les vers rapidement et délicatement pour ne pas les casser et les places dans un seau. L'opération recommence. Encore et encore. Une fois le seau plein, les vers sont posés sur un tamis pour qu'ils se séparent de la vase. Ils sont six, dont trois professionnels à pratiquer cette pêche en baie de Somme. "Aujourd'hui, on est pris en compte par la MSA. C'est un métier reconnu, structuré depuis 2010. Avant, ce n'était pas cadré. On était payé à la tâche". Une bonne journée, Reinette peut amasser entre 5 et 7 kg de vers qu'elle revend à un grossiste. Mais depuis 1999, elle a commencé à s'intéresser à une autre richesse de la baie : les végétaux.

"Quand je suis arrivée ici, il y avait des vasières partout, pas du tout d'herbes, justes quelques petites taches de salicornes. Les moutons n'existaient pas dans la baie. Il y avait juste les huttes des chasseurs. Aujourd'hui, la vue est bouchée par un monticule de sable. La baie est en train de se refermer. La végétation se développe". Elle récolte les salicornes - au couteau, pas à la faucille - l'aster maritime, lobione et la soude maritime. "C'est moi qui les ai mises sur le marché", sourit-elle.

Gérer intelligemment

Reinette travaille directement pour des restaurateurs, un boulanger. "Ma grande fierté, c'est que l'année dernière, on a touché un client de Paris. C'est lui qui est venu nous chercher". Une clientèle qu'elle va transmettre à un jeune pêcheur qui prend la relève. "Il veut travailler comme moi. La baie peut être très productive. C'est pour ça qu'il faut bien y faire attention. Il y a un potentiel énorme pour les gens qui vivent de ces produits. Mais il faut que ce soit géré intelligemment". Reinette préside l'association des 160 pêcheurs à pied licenciés de la baie et siège au conseil de gestion du Parc naturel marin des Estuaires picards et de la mer d'Opale. Le Parc a subventionné des labours sur 300 hectares gérés par l'association présidée par Reinette pour lutter contre la spartine américaine, une espèce exotique envahissante afin que les pêcheurs à pieds puissent continuer à prélever les ressources du littoral durablement.