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Jérômine Derigny, l’œil de l’océan

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Jérômine Derigny est photojournaliste. Avec le Collectif Argos dont elle fait partie, elle a documenté l’accaparement des mers dans le cadre d’un projet baptisé « Amer ».

En la voyant débarquer sur les quais de Brest en ce matin de février, Jérômine Derigny semble dans son élément, ciré blanc et chaussures de randonnée au pied. Elle inspecte de son œil bleu l’exposition Amer, un travail qu’elle a réalisé avec le Collectif Argos sur l’accaparement des mers, présenté lors du One ocean summit. Pourtant, la photographe n’a rien du marin au long cours, et elle ne s’en cache pas. « Quand nous avons, avec le Collectif Argos, commencé à nous intéresser au sujet de l’accaparement des mers, je n’étais pas du tout proche ou même attirée par l'océan. Ce n’est pas un élément qui me fascine, qui m’attire particulièrement. Je suis plutôt terrienne. Jusque-là, je concentrais mon travail sur l’alimentation, l’agriculture, sourit-elle. Je n’étais pas motivée par le fait d’aller en mer. C’était plutôt une crainte. » Finalement, elle a décidé de « sortir de sa zone de confort », comme elle le dit. Elle s’est même emparée d’un sujet des plus ardus : le contrôle de pêche au large du Gabon.

L’ONG Sea Shepherd a été appelée par l’État gabonais pour aider à mettre fin à la pêche illicite, non déclarée et non réglementée en Afrique centrale de l’ouest. Jérômine Derigny s’est retrouvée propulsée sur l’un des semi-rigides largués en mer par le Bob Barker, le navire-amiral de l’ONG dépêché sur zone pour contrôler des chalutiers avec l’aide de l’armée. « On est sur le Zodiac, on vient de faire un quart d’heure de mer à pleine vitesse, et là, il faut sauter sur le bateau. Il est dégueulasse, tout crasseux. Il ne faut pas tomber en sautant avec tout le matériel. En arrivant sur le pont, on voit des poissons partout et un équipage qui a l’air de sortir d’un autre monde. »

Depuis toujours, dans son travail, la photographe s’est intéressée au genre humain. Ceux qu’elle a alors découvert l’interpellent. « Ces gars qui pêchent sont depuis des mois sur ce bateau. J’étais impressionnée, parce que j’avais carte blanche pour faire toutes les photos que je voulais. Je ne m’attendais pas à pouvoir raconter cette réalité : les conditions dans les-quelles travaillent ces personnes qui pêchent en quantité industrielle et qui dorment sur des cartons. C’est tellement sale qu’on lave nos bottes en revenant pour ne pas rapporter des cafards. On se dit : c’est loin, c’est en pleine mer, personne ne peut les voir et nous, on peut raconter ça. » Elle part au contact de ces pêcheurs de toutes les nationalités. Ils sont rassemblés, hagards, à l’avant du bateau. « Je me suis approchée pour faire la photo vraiment nez à nez. Toute leur vie était marquée sur leur visage, sur leur peau, la vie dehors, la vie dure. » Elle raconte aussi les deux tortues prises dans le filet du premier bateau sur lequel elle débarque. « C’est sûr que si nous n’étions pas intervenus ce jour-là et à cette heure-là, ces deux tortues auraient été tuées, assure-t-elle. Je me dis à ce moment, « c’est incroyable, on a deux tortues énormes qui sont là, je peux les photographier et montrer le problème en une image ».

Dans ce travail pour la série documentaire Amer, Jérômine Derigny est aussi partie à la rencontre de ceux qui luttent pour la préservation des océans et des littoraux. Elle est allée poser son regard sur la Zad de Bretignolles-sur-Mer, en Vendée. « C’est l’autre aspect de mon travail. Je montre l’impact de l’homme sur l’environnement, et en quoi on a intérêt à en prendre soin. » La zone à défendre vendéenne s’est créée en réaction à un projet de port de plaisance creusé dans la dune et dans une vallée littorale. « Ce sont des gens qui sont corps et âme dans la lutte et qui ont tout lâché un jour pour créer et rejoindre la Zad. Quand les promoteurs de ce port ont commencé à détruire la dune sans crier gare, tout à coup, des gens se sont levés. C’est à ce moment que la lutte contre ce projet, qui durait depuis des années, a été médiatisée. Ce qui est intéressant, c’est que les personnes qui se sont battues n’avaient pas forcément un intérêt personnel, derrière. Ils luttent, alors que rien ne les y oblige. »

Ce travail photographique voyage désormais au sein d’une exposition. Une manière de toucher le grand public. « Notre travail de journaliste se déroule en deux temps : celui où on va sur le terrain pour ramener des images, et celui où on les diffuse. Si le sujet reste sur le disque dur, il ne sert à rien. Nous partageons d’abord ces images par la presse, c’est le cœur de notre métier. Mais après, il faut, par tous les moyens que l’on peut trouver, transmettre ces images pour qu’un maximum de gens puissent les voir. »

Sur la promenade du Moulin Blanc, tout près d’Océanopolis, à Brest, les promeneurs s’arrêtent plus ou moins longuement. « Quand on est sur la voie publique, on touche tout le monde. Je pense qu’il y a encore des gens qui ne sont pas au courant que la moitié de l’oxygène qu’ils respirent provient de l’océan. Grâce à cette exposition en partenariat avec l’Office français de la biodiversité, le message que l’on passe, c’est que nous sommes tous dépendants de l’océan, où que l’on soit, et qu’il faut en prendre soin. »

Cette interview est extraite de l'Aire marine 55, la lettre d'information de l’Office français de la biodiversité consacrée au milieu marin.

Au sommaire de ce nouveau numéro :

  • Restaurer l'huître plate en Nouvelle-Aquitaine
  • Le dossier : des financements pour agir
  • Jérômine Derigny, l'œil de l'océan

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