La gestion adaptative des espèces, des habitats et des prélèvements est basée sur une réglementation définie en fonction d'objectifs croisés avec les données annuelles, traduites en modèles mathématiques. La stratégie nationale pour la biodiversité (SNB) est venue récemment confirmer un engagement fort des pouvoirs publics en faveur de la gestion adaptative.
Qu'est ce que la gestion adaptative ?
Objectif : réglementer selon les connaissances sur les populations
La gestion adaptative est une approche de la gestion des ressources naturelles qui met l'accent sur l'apprentissage par la gestion lorsque les connaissances sont incomplètes et que, malgré l'incertitude inhérente, les gestionnaires et les décideurs doivent agir.
Contrairement à une approche traditionnelle par la méthode essai-erreur, la gestion adaptative propose une structure explicite, comprenant l’élucidation minutieuse des objectifs, l'identification de scénarios de gestion alternatifs et des hypothèses de causalité, ainsi que des procédures de collecte de données suivies des phases d’évaluation et de réitération.
Le processus est itératif et sert à réduire les incertitudes, à renforcer les connaissances et à améliorer la gestion au fil du temps dans un processus structuré et objectifs-orienté.
(Allen, Craig R., Garmestani, Ahjond (Eds.) 2015. Adaptive Management of Social-Ecological Systems.)
Durée : 2 min 53 sec
Vidéo YouTube [La gestion adaptative, c’est quoi ?]L'État a chargé l'OFB de la mise en place de la gestion adaptative en France mais concrètement, qu'est-ce que la gestion adaptative ? Pour y répondre, nous sommes allés à la rencontre de Raphaël Demolis (MTES) et de Loic Obled (OFB)
Raphaël Demolis, ministère de la Transition écologique
La gestion adaptative des espèces est un processus de gestion qui tient compte des connaissances scientifiques disponibles et qui évolue dans l'incertitude. On a une approche itérative de type essai-erreur-correction.
C'est un processus qui peut s'appliquer en fait à une grande diversité tant d'espèces de faune, de flore et à toutes les échelles et pour nous c'est une réponse à l'urgence de l'érosion de la biodiversité.
La gestion adaptative est un processus qui nous permet d'apprendre et de gérer simultanément.
En fait, elle offre l'opportunité d'avancer sur les deux tableaux, tant sur le champ scientifique, que sur le champ de la gestion des espèces avec la cible qu'on s'est donné.
Grâce au processus itératif, ça permet aussi des échanges très réguliers avec les différentes partenaires.
Loic Obled, Office français de la biodiversité
Les conditions de réussite de la gestion adaptative ?
C'est évidemment se faire confiance et partager la définition de la gestion adaptative.
Si on n'est pas d'accord sur la définition, c'est ce qui s'est passé, on peut pas construire la confiance et on peut pas essayer de regarder ce que ça peut nous apporter ça c'est la première condition.
La deuxième condition est de faire confiance à la science, à laquelle on s'en remet pour gérer l'incertitude et apprendre par les hypothèses de gestion qu'on fait. Le rôle de l'OFB d'abord est comme la loi lui demande, d'essayer de mettre en oeuvre la gestion adaptative et de partager avec les acteurs qui peuvent être intéressés. Il y a évidemment les associations de protection de la nature, il y a évidemment les chasseurs, les pêcheurs et les agriculteurs. Puisqu'on parle de milieu, puisqu'on parle d'espèces, puisqu'on parle de changement climatique, il y a évidemment ce qui part des politiques publiques et les collectivités donc il faut travailler avec l'ensemble de ces acteurs et essayer de faire en sorte qu'on ne s'éloigne pas de l'objectif initial, qui est de faire confiance à la science, de se parler et de partir du principe qu'on ne connaît pas tout et que malgré tout on essaie de faire des hypothèses de gestion. La chance de l'OFB est d'avoir un conseil
scientifique qui est composé de différents experts de différentes disciplines qui peuvent apporter un appui ou avoir un regard sur l'ensemble des expériences qu'on va pouvoir faire espèce par espèce milieu par milieu.
Quelle mise en pratique ?
En Amérique du Nord, la gestion adaptative des oiseaux d’eau a fait ses preuves depuis plus de 20 ans.
En Europe, l’Accord international sur la conservation des oiseaux d’eau d’Afrique et d’Eurasie (AEWA) a engagé un processus de gestion adaptative des populations d’oies auquel la France participe très activement.
Cette approche est par ailleurs déjà appliquée en France sur certaines des populations d’oiseaux et mammifères sédentaires chassés.
Les travaux de l’OFB et de ses partenaires sur la connaissance des populations et de leur fonctionnement jouent un rôle central dans ces procédures de gestion.
Durée : 3 min 43 sec
Vidéo YouTube [La gestion adaptative, comment ça marche ?]La gestion adaptative:comment ça marche la mise en place ?
L'État a chargé l'OFB de la gestion adaptative en France mais comment s'organise la mise en place de la gestion adaptative ?
Nous sommes allés à la rencontre de Charlotte Francesiaz (OFB) pour nous en dire plus.
La gestion adaptative est un processus de gestion collaboratif qui permet de prendre des décisions concertées et basées sur la science sans que les incertitudes ou le manque de connaissance soit un frein. C'est un système de gestion qui permet d'améliorer les connaissances tout en prenant en compte les enjeux socio-économiques. Ce processus s'organise autour de cinq grandes étapes qui sont souvent répétées annuellement : la concertation, le bilan des connaissances et des incertitudes, la phase décisionnelle et de mise en place, le suivi scientifique et la réévaluation.
La concertation est la première étape et elle est cruciale, que ce soit pour définir des quotas de chasse ou de pêche ou gérer des conflits
comme la création de dégâts dans les cultures, par exemple, ou encore pour aider à la réintroduction d'une espèce en danger.
Dans ces cas-là, souvent les acteurs ont des points de vu ou des objectifs divergents, c'est la raison pour laquelle il est essentiel de
rassembler toutes les parties prenantes pour discuter ensemble de la problématique et définir un objectif de gestion.
La gestion adaptative est donc un processus collaboratif dans lequel chaque voix compte.
Une fois l'objectif de gestion fixé, ce sont les scientifiques qui prennent le relais en se basant sur les connaissances déjà acquises et sur
l'identification des incertitudes. Les scientifiques vont développer des modèles, chacun d'eux correspondant à un scénario. Ces scénarios permettent de présenter différents cas de figure et d'anticiper les conséquences des futures actions de gestion au regard des différents scénarios.
On détermine donc les actions de gestion à mettre en place qui permettent au mieux de s'approcher ou d'atteindre l'objectif de gestion fixée.
Ces actions de gestion et leurs impacts sur la population suivie vont être rigoureusement suivies.Le suivi scientifique doit être effectué régulièrement, souvent annuellement, tout ça pour suivre les données, les paramètres de la population, qui nous permettent de voir si on va vers l'objectif de gestion fixé.
Ca peut-être la taille de la population ou sa composition en sexe ou en âge mais aussi la quantité d'un habitat essentiel pour l'espèce ou encore le nombre de dégâts créés.
Ces données obtenues grâce au suivi sur le terrain sont ensuite confrontées aux prédictions des scénarios modélisés précédemment. Cette étape nous permet de donner plus de poids au scénario qui représenterait au mieux la population qu'on souhaite étudier. Ces nouvelles connaissances sont ensuite utilisées pour affiner les modèles scientifiques.
En parallèle, les parties prenantes se réunissent pour un bilan et pour éventuellement ajuster les suivis nécessaires ou alors les actions de gestion nouvelles à mettre en place. Tout ça bien sûr toujours dans le but d'atteindre l'objectif de gestion.
Pour résumer, il est vraiment important de suivre ces cinq étapes. La clé de tout ça est la collaboration entre tous, le partage de données, les discussions et l'identification d'un objectif de gestion commun.
Le fonctionnement en “double boucle” de la gestion adaptative des prélèvements
- Les données collectées chaque année sont utilisées pour définir la réglementation cynégétique de la saison suivante (boucle bleue),
- en fonction des objectifs de gestion révisés collectivement à intervalle de quelques années (boucle verte).
D’après Guillemain, M. & Bacon, L. 2019. La gestion adaptative des Anatidés. Alauda.
Des ressources pour aller plus loin
La gestion adaptative et les espèces chassables
Durée : 3 min 8 sec
Vidéo YouTube [La gestion adaptative et les espèces chassables]0 :23 Pourquoi les espèces chassables ?
0 :47 Quelle origine ? Pourquoi en France ?
1 :22 A quelle échelle ?
1 :44 Des exemples ?
2.25 Ce qu’on retient
L'État a chargé l'OFB de la gestion adaptative en France. Mais pourquoi et dans quel cas s'applique la gestion adaptative ?
Nous sommes allés à la rencontre de Matthieu Guillemain (OFB) pour en savoir plus sur le cas des espèces chassables.
Pourquoi les espaces chassables ?
La gestion adaptative est une manière de faciliter la coexistence entre les activités humaines et la biodiversité. Typiquement, pour les
espèces de gibier qui sont exploités, c'est un bon exemple, une manière d'utiliser ce processus. La gestion adaptative peut être utilisée
dans le cadre des espèces chassables, de manière à permettre l'exploitation tout en permettant un maintien durable des populations qui sont
exploitées.
Quelle origine, pourquoi en France ?
La gestion adaptative et le premier exemple le plus connu est la mise en place pour la gestion des oiseaux d'eau et leurs prélèvements en Amérique du Nord au milieu des années 90. Ca a été un vrai succès. Quatre éléments permettent de voir ça.
La première chose est que les populations exploitées concernées ont augmenté et souvent dépassé les effectifs cibles du départ.
La deuxième chose est qu'on comprend mieux comment elles fonctionnent puisque on les a étudiées.
Cela a permis un dialogue apaisé entre les parties prenantes et a aussi permis le maintien de l'activité cynegétique.
A quelle échelle ?
Dans le cas des espèces qui sont chassables en France, un certain nombre sont des espèces migratrices. Ce qui serait cohérent est de mettre en place une gestion à l'échelle de l'ensemble de leurs voies de migration donc une gestion qui est vraiment internationale même si on peut le faire aussi par pays. Typiquement, c'est quelque chose qui est mis en place à travers l'AEWA qui est un accord des Nations Unies pour toutes les espèces migratrices d'Europe et d'Afrique.
Des exemples
Deux exemples sont vraiment des des réussites en termes de gestion adaptative : l'oie à bec court et l'oie des moissons de la Taiga.
L'oie à bec court est une espèce qui était abondante. En 2012, on a décidé qu'il y avait trop de problèmes et de conflits. Il a été décidé
collectivement d'utiliser la chasse pour réduire la taille de population. Ce qui a effectivement permis de la réduire aujourd'hui de 80000 initialement à 60 000 maintenant. Pour le cas de l'oie des moissons de la taiga, la situation est différente puisque c'est une espèce qui va moins bien et là au contraire l'objectif était plutôt de réduire les prélèvements pour mieux la conserver. Différents pays se sont mis d'accord pour partager un quota qui avait été collectivement décidé.
A retenir, c'est par la confiance, l'investissement de chacun et la transparence dans les données qu'on a pu avancer sur ces deux exemples.
Clairement, le genre de chose qu'il faut faire est de partager les données et les utiliser de manière transparente, notamment les données de comptage et de prélèvement pour les espèces chassables. Grâce à ça, on peut mettre en place une gestion concertée à l'échelle des migrations pour les espèces considérées.
- Adapter la gestion des espèces chassables
- Guillemain, M. & Bacon, L. 2019. La gestion adaptative des Anatidés. Alauda, p17-24. (ouverture dans une nouvelle fenêtre)
- Bacon, L. & Guillemain, M. 2018. La gestion adaptative des prélèvements cynégétiques. Faune Sauvage, n°320, p4-9. (ouverture dans une nouvelle fenêtre)
- Mathevet, R. & Guillemain, M. 2016. Que ferons-nous des canards sauvages ? Chasse, nature et gestion adaptative. Editions Quae, Versailles. (ouverture dans une nouvelle fenêtre)
La gestion adaptative et les espèces pêchables
Durée : 4 min 14 sec
Vidéo YouTube [La gestion adaptative et les espèces pêchables]L'État a chargé l'OFB de la gestion adaptative en France. Mais pourquoi et dans quel cas s'applique la gestion adaptative ?
Nous sommes allés à la rencontre de Laurent Beaulaton (OFB) pour en savoir plus sur le cas du saumon atlantique.
Pourquoi les ressources aquatiques ?
On parle de gestion adaptative quand on cherche à concilier activités humaines avec la biodiversité par exemple, dans le cas de la gestion du saumon atlantique.
Quels enjeux ?
Le saumon atlantique a connu un fort déclin depuis plusieurs siècles. Il est aujourd'hui dans une situation assez préoccupante que ce soit en France ou dans le reste de son aire de répartition qui est l'Atlantique Nord. Cette situation est due en grande partie à cause des activités humaines notamment la pêche mais pas que.
Les étapes clés
Après une longue période de gestion au niveau national du saumon Atlantique, la gestion a été localisée à partir du milieu des années 90 et à ce moment-là il y a une concertation entre l'administration, les acteurs socio-économiques et les scientifiques. Il a été décidé d'avoir des objectifs à long terme de maximisation des prélèvements, ce qui a conduit à la mise en place de quota.
Est-ce toujours d'actualité ?
En 2015 a été décidé de réviser complètement le mode de gestion et les outils scientifiques qu'ils sous-tendent. Il a été défini des objectifs qui permettent à la fois de séparer les aspects de conservation et les aspects d'exploitation, tout en essayant d'atteindre ces deux objectifs-là.
Les principes adoptés par l'ensemble des acteurs sont aujourd'hui en application depuis une année maintenant.
Les conditions de réussite
Depuis plusieurs décennies, un gros effort a été fait à la fois pour suivre les populations mais aussi dans la concertation entre les acteurs.
Les données qu'on utilise aujourd'hui sont issues à la fois des suivis scientifiques, des données collectées par les fédérations de pêche mais aussi des déclarations de capture des pêcheurs eux-mêmes. Toutes ces données ont permis d'améliorer nos connaissances de l'état des populations et d'adapter la gestion de ces populations. Un des points essentiels est que les scientifiques ont fait preuve de pédagogie. Pour tous, il y a aussi une nécessité d'avoir un temps assez long pour pouvoir échanger, se concerter et bien se comprendre.
L'état actuel des population
14 des 18 populations étudiées, qui sont l'essentielles des populations bretonnes, sont en bon état de conservation.
Sans modification des conditions environnementales et si les modèles sont justes évidemment, les projections montrent que la gestion choisie
permettra à la fois d'assurer la conservation des populations tout en permettant une exploitation de celle-ci par la pêche. Néanmoins, actuellement le nombre d'individus est en forte baisse en Bretagne. Mais au-delà de la Bretagne, on ne connaît pas les causes exactement mais c'est possiblement lié à leur phase marine puisqu'on voit cette diminution un peu partout en Europe. Cela nécessite de rester vigilant quant aux conditions d'exploitation et de conservation des populations bretonnes. Ce qu'on retient de la gestion des populations de saumon atlantique de Bretagne repose depuis le milieu des années 90 sur un modèle qui permet de suivre l'évolution des populations de saumon au
cours du temps. Ce modèle prend en compte les données fournies par les différents acteurs. Il est important qu'il y ait un partage des connaissances, des concepts, des données, des informations entre acteurs, que ce soit des scientifiques, l'administration et les acteurs socio-économique.
Tout ceci s'insère dans un processus itératif qui permet régulièrement de mettre à jour les informations et de mettre à jour aussi la gestion.