Les approches actuellement utilisées pour évaluer le risque lié à la présence de substances chimiques dans l’eau et les milieux aquatiques dans le cadre de la Directive cadre sur l’eau présentent certaines limites : elles ne tiennent pas compte des effets toxiques potentiels de l’ensemble des contaminants présents ni de l’effet de leurs interactions (effet « cocktail »). Pour y pallier, des outils innovants issus de l’écotoxicologie sont à l’étude ; c’est le cas des méthodes biologiques intégratrices ou méthodes de biosurveillance auxquelles l’OFB et ses partenaires consacrent de nombreux travaux de recherche.
Principales limites des approches actuelles de la surveillance
Les données recueillies dans le cadre des programmes de surveillance de la Directive cadre sur l’eau (DCE) alimentent la connaissance de l’état des eaux et des impacts des activités humaines. Malgré un effort d’analyse sans précédent, les données de la surveillance de la contamination des eaux souffrent d’un manque de représentativité en raison de la nature variable de cette contamination.
Des échantillonnages d’eau ponctuels
Les échantillonnages ponctuels d’eau, réalisés dans le cadre des suivis DCE à intervalles relativement espacés (≥ 1 mois), ne rendent que partiellement compte des fluctuations des concentrations en contaminant au cours du temps, et peuvent conduire à une appréciation biaisée de la contamination du milieu (notamment par des substances transférées sous forme de pulses de courte durée, comme les produits phytopharmaceutiques).
Un panel limité de substances ciblées
En limitant les suivis aux seules substances figurant dans les listes règlementaires (substances prioritaires européennes, polluants spécifiques définis à l’échelle nationale, substances pertinentes à surveiller) ou à celles possédant un seuil de dangerosité (concentration sans effet prévisible sur l’environnement, PNEC), les méthodes d’évaluation actuelles ne tiennent pas compte de la diversité des molécules et des niveaux de concentration auxquels les organismes sont exposés dans le milieu, compliquant l’interprétation des résultats en termes de risque écotoxique.
Les interactions entre substances non évaluées
L’approche de norme de qualité environnementale (NQE) qui s’applique à chaque substance prise individuellement, ne permet pas d’évaluer l’effet des interactions de ces substances au sein de mélanges complexes (effets additifs, antagonistes ou synergiques). Plusieurs études montrent que des substances prioritaires présentes dans des mélanges à des niveaux de concentration équivalents à leur NQE sont néanmoins capables d’exercer une toxicité envers les organismes aquatiques (par ex. von der Ohe et al., 2009 ; Carvalho et al., 2014).
Des indicateurs biologiques peu spécifiques aux pressions chimiques
Les éléments de qualité biologique (EQB) qui permettent d’évaluer l’état écologique des milieux aquatiques à partir de l’observation des communautés biologiques en place, sont quant à eux peu spécifiques vis-à-vis des pressions chimiques (de par leur construction, les indices biocénotiques sont intégrateurs de toutes les pressions s’exerçant sur le milieu). Ils sont par ailleurs des indicateurs peu précoces de la dégradation de la qualité des milieux, les effets observés à ce niveau d’organisation biologique pouvant prendre plusieurs semaines à se développer. Bien que pertinentes d’un point de vue écologique, les approches actuelles de bio-indication ne peuvent renseigner sur la nature exacte des substances chimiques à l’origine des impacts observés.
Une meilleure compréhension des relations de causalité entre état chimique et état écologique est donc nécessaire pour identifier toutes pressions chimiques capables d’exercer des effets néfastes sur la structure et le fonctionnement des communautés, et pour mettre en place des mesures de gestion appropriées. Une approche de type diagnostic faisant appel à différents outils et utilisant différents éléments de preuve a été mise en avant ces dernières années pour mieux évaluer le risque chimique dans le contexte de la DCE (par ex. Brack et al., 2017 et 2018).
Un changement de paradigme nécessaire
Parmi les nouveaux outils, les méthodes biologiques intégratrices issues du domaine de l’écotoxicologie (bioessais in vitro et in vivo, biomarqueurs) ont fait l’objet d’une attention particulière, notamment en vue d’une application dans le cadre de la DCE (rapport européen Technical Proposal for Effect-Based Monitoring and Assessment under the Water Framework Directive - 2021).
Définition et principe des méthodes biologiques intégratrices
Ces outils peuvent être définis comme l’ensemble des méthodes permettant de déterminer de manière qualitative ou quantitative un effet biologique plus ou moins spécifique chez un organisme entier ou une partie de cet organisme (macromolécules, cellules, tissus/organes), en réponse à une exposition à un ou plusieurs contaminants chimiques. On distingue :
- les méthodes biologiques spécifiques d’un mode d’action (par ex. interaction d’une substance chimique avec le récepteur nucléaire des œstrogènes) ;
- les méthodes renseignant sur une toxicité générale (par ex. stress oxydant, inhibition de la croissance et de la reproduction d’un organisme).
Ces méthodes sont intégratrices car elles rendent compte des effets de l’ensemble des toxiques agissant sur la fonction biologique suivie ; elles prennent en compte les effets des combinaisons de substances chimiques et de substances inconnues (par ex. contaminants d’intérêt émergent) non recherchées dans les analyses chimiques ciblées.
Intérêt des méthodes biologiques intégratrices
Selon le modèle conceptuel DPSIR, cadre d’analyse communément utilisé dans la DCE, les méthodes biologiques pourraient intervenir à différents niveaux :
- pour identifier des sources de pollution, des points chauds de pollution sur un territoire ou un bassin hydrographique (screening) ;
- pour caractériser l’impact de pressions chimiques (toxiques) s’exerçant sur le milieu ;
- pour compléter la surveillance générale de l’état des eaux (incluant le compartiment sédimentaire) éventuellement pour des fins d’évaluation de l’état des masses d’eau,
- en détectant l’activité de substances chimiques qui ne sont pas recherchées dans le cadre des suivis réglementaires et qui partagent des modes d’action communs,
- en mesurant des réponses biologiques précoces (moléculaires, cellulaires, physiologiques) plus ou moins spécifiques, permettant d’anticiper des effets à des niveaux d’organisation biologique supérieurs (pour faire le lien avec les éléments de qualité biologique (EQB) ;
- pour identifier les causes de la dégradation du milieu dans le cadre d’une démarche d’investigation environnementale (s’apparente à un contrôle d’enquête), en utilisant une approche bio-analytique guidée par les effets (effect-directed analysis ou EDA), permettant d’expliquer d’éventuelles incohérences entre état chimique et état écologique (par ex. élucider les causes d’un état écologique dégradé quand le bon état chimique est atteint) ;
- pour évaluer l’efficience des mesures mises en place pour restaurer la qualité des milieux, notamment quand la nature des pressions est inconnue.
Des verrous limitant l’utilisation des méthodes biologiques dans la surveillance DCE
Un des principaux freins identifiés est l’absence de processus de validations, de certifications, de normes et de mesures de contrôle qualité adaptés aux spécificités des méthodes biologiques (depuis la réalisation effective de l’essai jusqu’à l’interprétation de ses résultats). Une évaluation par un tiers indépendant des performances des méthodes biologiques et de leur applicabilité au vu des objectifs visés devrait constituer un moyen de résolution de ce blocage, et ainsi participer à la reconnaissance et la promotion de l’utilisation de ces méthodes en routine.
Pour être mise en œuvre, cette procédure de validation doit être déclinée pour les différents types de méthodes et outils innovants et par catégorie de paramètres. La validation indépendante des méthodes et outils innovants selon ce processus général peut servir de support pour des futurs travaux en normalisation (ISO, CEN, AFNOR) ou autres (par exemple OCDE).
Il est également nécessaire de définir des critères d’évaluation (assessment criteria) et plus généralement de construire des référentiels d’interprétation des résultats pour ces méthodes biologiques, applicables à l’échelle des masses d’eau européennes, pour statuer sur le niveau de risque encouru par les écosystèmes et la biodiversité aquatiques. Plusieurs approches/méthodologies ont déjà été proposées pour déterminer ces critères d’évaluation (critères à 1 seuil à l’image des NQE, critères de qualité multi-classes, écart par rapport à une situation de référence, méthodes d’agrégation multicritères, etc.), et des valeurs seuils sont disponibles pour un nombre réduit de bioessais.
Il est aussi nécessaire de mettre en place des démonstrateurs permettant d’évaluer la plus-value de ces méthodes innovantes par rapport aux approches classiques (incluant des analyses coût/avantage) et cadrer l’utilisation de ces outils dans différents contextes (évaluation de l’impact des rejets urbains et industriels sur les milieux aquatiques, surveillance de la qualité des milieux, contrôle d’enquête/investigation environnementale, etc.) afin d’en tirer des guides à l’usage des acteurs de l’eau.
Activités de l’OFB dans le domaine de la biosurveillance
L’OFB apporte son soutien à des opérateurs de la recherche finalisée travaillant sur la contamination de l’eau et des milieux aquatiques par des substances chimiques, et sur le développement et l’application de métrologies innovantes, comme les méthodes biologiques.
Les projets issus de ces partenariats s’inscrivent dans le contexte de la mise en œuvre de la DCE, dans une démarche d’amélioration des méthodes et critères utilisés pour l’évaluation de l’état des eaux de surface. Ils contribuent aussi à différents plans et stratégies nationaux tels que le plan micropolluants 2016-2021 (actions 25 et 29), la 2e stratégie sur les perturbateurs endocriniens (SNPE2) (actions 25 et 27), le plan Ecophyto (axe II).