Les motifs uniques à spot ou à ocelle du pelage des lynx rendent possible une reconnaissance et un suivi individuel sur la base d’images. La combinaison de la forme et de la disposition des tâches est différente pour chacun, tel un véritable « code-barre » de l'individu. 

Ce suivi permet de réaliser des estimations d'abondance et de densité locale ainsi que sur certains paramètres démographiques ou le domaine vital et l'organisation spatiale. Les images sont également utiles concernant les interactions avec les activités humaines ou pour le suivi sanitaire.

Depuis 2010, l’OFB (auparavant l'ONCFS) s’est lancé dans un effort de bancarisation et d’analyses des photographies transmises au réseau Loup-lynx (Chenesseau et al. 2010). La base nationale de données de ces images et des lynx identifiés est maintenue par le réseau loup lynx, au sein de la Direction régionale Bourgogne-Franche-Comté de l’OFB.

Exemple de variation de pelage dans la population de lynx : (1) pelage très peu marqué, (2) ocelles et spots avec des (3) petites ou (4) grosses taches (réseau Loup-lynx / OFB DR BFC)

Chaque "évènement photographique" reçu est traité en plusieurs étapes

Un évènement photographique se caractérise par une série d’images faite sur un même lieu, à la même date et sur un pas de temps très court. Chacun fait l’objet d’un examen via un programme d’aide à l’identification, puis d’une validation humaine, pour aboutir à son classement dans le catalogue des lynx identifiés (Hiby 2010; Gatti et al. 2011).

Ainsi, plus de 4 600 évènements photographiques sont bancarisés actuellement sur la base de données, pour plusieurs dizaines de milliers d’images. Environ 800 évènements sont traités par an au rythme acquis ces dernières années.

Stimulé par la démocratisation et la généralisation du matériel de prise de vue, notamment des pièges photographiques, ce type d’indice est devenu l’outil principal du suivi de l’espèce en France.

En plus de constituer un indice de présence indéniable de l’espèce sur un site, chaque photo de lynx, idéalement prise sur les deux flancs, constitue une véritable carte d’identité de l’animal.

Flancs gauche et droit de l'individu identifié F25_015 pris lors du suivi intensif en 2013 (OFB, FRCFC, ONF, FDC01, 25, 39)

Un processus précis

L’identification est basée sur :

Extrait du processus de photo-identification assistée par ordinateur : extraction du motif de pelage, résultat des comparaisons et validation par l’opérateur(réseau Loup-lynx / OFB DR BFC)

  • l’extraction du motif de taches sur les flancs et/ou les cuisses de l’animal,
  • et leur comparaison aux motifs déjà enregistrés dans le catalogue.

Le logiciel d’analyse d’image fournit un score de similarité avec les individus, puis l’opérateur effectue une vérification afin de confirmer ou d’infirmer la correspondance entre les individus photographiés. Cette étape de validation est cruciale pour garantir la fiabilité des identifications. 3 possibilités :

  • Si la correspondance est confirmée, l’observation est associée à cette identification et les données sont enregistrées dans l’historique de l’individu.
  • Sinon, une « identité provisoire » est attribuée à l’observation, jusqu’à ce qu’il y ait de nouveaux éléments (image de meilleure qualité, photographie d’un second flanc…) pour confirmer s’il s’agit d’un nouvel individu, ou bien le rattacher à une identification existante.
  • Certaines observations resteront malgré tout classées comme non-identifiables, les images ne permettant pas de conclure. Elles resteront retenues comme indice de présence de lynx mais sans qu’une identité d'un individu leur soit rattachée. Les images sans identité sont régulièrement revisitées à l’arrivée de nouvelles photographies, au cas où un détail supplémentaire pourrait permettre de les rattacher à un individu.

Une méthode aux multiples usages dans le suivi de l'espèce

Cette méthode est non invasive (sans capture physique de l’animal), relativement peu coûteuse et peu impactante en termes de perturbation de l’animal et de son environnement. Elle est donc particulièrement adaptée pour suivre sur de vastes territoires cette espèce discrète, principalement nocturne et présente en faible densité.

Pouvoir identifier individuellement les lynx sur la base de photographies permet de mettre en œuvre des méthodes d’estimations d’abondance (nombre d’individus présents sur la zone étudiée) et de densité (nombre de lynx / 100 km²) de populations locales ainsi que des paramètres démographiques, à l’instar de ce qui est fait grâce aux profils génétiques individuels pour le loup.

Estimations d’abondance et de densité locale

Un recensement exhaustif de la population de lynx n’est évidemment pas envisageable. Cependant, l’estimation de la densité locale reste un indicateur important du statut de l’espèce à l’échelle d’un massif ou d’une zone d’étude, et un outil robuste pour suivre l’évolution de cette population et la comparer aux estimations obtenues sur d’autres populations.

Ces estimations sont obtenues grâce à des modèles mathématiques dits de « capture-marquage-recapture ». Pour le lynx, ce sont des détections photographiques et non des captures physiques. Les motifs uniques de pelage servent de « marquage » naturel, il est plutôt question de modèles dits de « capture-recapture » (CR).

Les modèles utilisés évoluent

Campagnes de suivi et résultats obtenus

Ex. : cartes de densité de lynx sur différents sites du massif du Jura - modèles SECR.La densité est exprimée en lynx / 2,25 km², chaque pixel mesurant 1,5 km x 1,5 km. (extrait de Gimenez et al. 2019)

Des sessions intensives de piégeage photographique ont été menées en hiver sur différents secteurs du massif du Jura entre 2011 et 2015, et soumises aux modèles CR (Gatti et al. 2014).

Les modèles SECR ont été mis en œuvre récemment dans les études des populations de lynx par piégeage photographique : ils produisent les estimations les plus robustes pour comparer les différents sites (Gimenez et al. 2019).

Autres paramètres démographiques

Pour estimer des paramètres démographiques tels que la survie ou le recrutement (fraction des nouveaux individus atteignant le stade reproducteur), le suivi photographique peut être utilisé dans le cadre d’approches de modélisation et d’échantillonnage dits de « robust design ».

Dans ce cadre, 2 échelles temporelles sont considérées :

  • les périodes courtes, durant lesquelles des campagnes primaires d'échantillonnage sont réalisées : la population est considérée comme « fermée » et les paramètres tels que la probabilité de détection et l’abondance peuvent être estimés,
  • des intervalles longs (une année, une saison), placés entre 2 campagnes primaires : la population est considérée comme « ouverte » et les processus dynamiques (survie, recrutement, émigration…) sont mesurés.

A défaut de pouvoir estimer les processus dynamiques à l’échelle de la population, la photo-identification permet de suivre le destin individuel de certains lynx identifiés. Par exemple, de nombreuses femelles sont photographiées sur des proies en compagnie de leurs jeunes. Les motifs du pelage ne changent pas avec l’âge, ils ne font que grandir avec l’individu. C’est l’occasion de documenter toute la portée et éventuellement de retrouver ces jeunes après leur dispersion sur leur nouveau territoire, ou de les identifier lorsqu’ils sont victimes de collision.

Suivi de la dispersion et du devenir des jeunes de la femelle F39_050, basé sur les « captures » photographiques entre 2013 et 2020 (réseau Loup-lynx / OFB DR BFC)

F39_057, jeune mâle de 2013 sur proie sauvage, suivi jusqu’à fin 2018 (ONF 39 et OFB SD39)

Au-delà de documenter des distances de dispersion et de suivre le destin individuel de certains lynx, ce type de suivi permet aussi de caractériser la colonisation de nouveaux secteurs, ou les connexions fonctionnelles entre massifs, comme cela a pu être montré entre le Jura et les Vosges ou le Jura et les Alpes.

Domaines vitaux

Estimation d’un domaine vital, basée sur les « captures » photographiques d’un femelle lynx entre 2013 et 2019 (réseau Loup-lynx / OFB DR BFC)

Obtenir des informations sur l’organisation spatiale des individus est particulièrement intéressante dans le cas d’une espèce solitaire comme le lynx, pour laquelle le territoire ou le domaine vital représente l’unité spatiale de base.
Des détections répétées, géolocalisées, d’individus identifiés, sur de longues périodes (plusieurs années) grâce aux photographies peuvent aider à une estimation du domaine vital.

En l’absence de données télémétriques, cette méthode non-invasive peut se révéler relativement précise pour peu que les animaux soient détectés fréquemment et que l’effort de détection soit homogène sur l’aire de répartition.

Cependant, les tailles des domaines vitaux déterminées par cette méthode semblent sous-estimées par rapport à celles résultant d'un suivi télémétrique. 
Ce constat est issu des études menées chez les lynx pardelles dans le sud de l’Espagne (Gil-Sánchez et al. 2011).

Interactions avec les activités humaines

Les photographies sont également utilisées dans l’étude des attaques sur des animaux domestiques.

L’identification permet de déterminer :

  • si les attaques sont toujours le fait d’un même lynx,
  • si un lynx est responsable d’attaques sur plusieurs exploitations,
  • s'il y a report de la prédation sur d’autres exploitations quand des mesures de protection sont mises en place,
  • si des foyers d’attaques récurrents sont le fait d’un ou plusieurs individus,
  • et comment ces comportements peuvent évoluer dans le temps pour certains individus.

Installation d’un piège photo sur exploitation ovine (S. Gatti / OFB)

Piégeage photographique sur exploitation ovine (S. Gatti / OFB)


Le piégeage photographique permet aussi d’étudier l’utilisation des infrastructures humaines par l’espèce et en particulier les systèmes dédiés tels que les passages à faune mis place pour faciliter les déplacements entre massifs forestiers et éviter les collisions.

Suivi d’un passage à faune dans le Doubs (réseau Loup-lynx / OFB DR BFC)

Suivi sanitaire

Les images peuvent aussi fournir des indications sur l’état sanitaire en permettant de détecter des blessures ou des signes externes d’une pathologie qui pourrait impacter la survie des individus.